Les plantes


Crédits : M Rigaux

Les plantes frémissaient de plaisir à la vue des hordes de dinosaures qui fonçaient vers elles. Il leur avait fallu beaucoup de temps pour attirer les bêtes gigantesques si loin au sud. Phéromones, fleurs émissaires, odeurs douces. Ils avaient utilisé toutes leurs connaissances dans cet effort pour se nourrir. Ils vivaient en Antarctique, et seul un pont terrestre étroit reliait ces terres aux autres continents. Difficile de se nourrir dans ces conditions et elles avaient faim. Désespérément faim.

Elles s’étaient réveillées du long sommeil lorsque la grande météorite s’était écrasée loin au nord. L’impact avait libéré tellement de poussière que le ciel s’était assombri pendant plusieurs années. La chaleur avait augmenté en dessous, et quand il s’était à nouveau éclairci, l’Antarctique avait fondu, libérant les plantes.

Elles s’étaient réveillées avec cette sensation de faim qui ne les quittaient plus. Au début, elles avaient lancé un simple appel. Par curiosité, de vastes hordes d’allosaures qui s’étaient réfugiées en Antarctique avaient répondu. Le festin avait été énorme, une orgie comme elles n’en avaient jamais connue.

Avant le long sommeil, elles se nourrissaient déjà de viande. Si loin au sud, c’était le seul moyen de rassembler assez d’énergie pour affronter les rudes hivers. À cette époque, les animaux étaient petits et peu nourrissants. Rien de comparable avec les géants. Mais les plantes étaient prudentes. Elles avaient eu faim, et elles feraient des provisions pour tenir le plus long hiver possible.

Quand les allosaures cessèrent de venir, les plantes améliorèrent leurs techniques pour attirer de nouveaux géants. Il fallait les chercher plus loin, mais ils venaient… une horde après l’autre. Un tel festin.

Puis les géants cessèrent de venir à nouveau. Les plantes étaient inquiètes. L’hiver serait rude, elles le sentaient, et elles voulaient plus de nourritures. Elles déployèrent toutes leurs techniques pour attirer les géants depuis le grand nord jusqu’au pont de terre vers leur continent…

Après cette longue attente et tant d’efforts, les plantes aspiraient à de la viande fraîche. Les longues vignes se sont redressées, prêtes à bloquer et paralyser les diplodocus et les tyrannosaures, leur viande de choix. Les fleurs commencèrent à libérer leurs spores mortelles sur le chemin de la horde. Le dîner serait bon.

La période d’abondance était finie. Les plantes sentaient dans la terre et dans le vent qu’elles avaient mangé tout ce qui en valait la peine. Il y avait des bêtes plus petites ici et là, mais elles étaient trop petites et trop difficiles à attirer en bas. Les plantes retourneraient à leur hibernation. Elles avaient assez pour tenir un long hiver et elles attendraient. Elles l’avaient fait pendant des millions d’années. Cela ne les dérangeait pas. Elles étaient patientes.

Iain MacEdward était le biologiste en chef de l’Antartica Sunrise Farm, nommé à la suite d’une carrière exceptionnelle. Il avait pris de nombreux risques pour sortir le monde de la pénurie alimentaire liée à la surpopulation et le choix était évident. L’entreprise voulait savoir si le sol de l’Antarctique, situé sous trente mètres de glace, pouvait encore abriter la vie. Et aujourd’hui, la graine qu’il avait trouvée dans les profondeurs de la glace allait germer. Dans deux mois à peine, il montrerait au monde sa nouvelle récolte de plantes entièrement locales, des plantes qui n’avaient pas poussé depuis que le dernier des dinosaures avait marché sur Terre. C’était la nouvelle du siècle. Il serait célèbre.

Les plantes se réveillèrent. L’air sentait bon la viande fraiche, pleins de viande. Ce serait facile…